Le corona met une fin brusque a une carriere de pilote de 42 ans

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Par les médias sociaux, on entend les conséquences du corona. Pas seulement les chiffres quotidiens et les conseils des virologues, mais aussi les réflexions et les gémissements du citoyen. Des messages de soulagement, de plaisir, d’espoir, mais aussi souvent avec une nuance de désespoir, de chagrin et d’angoisse. Le 1 août 2020 est paru sur le mur du pilote d’Emitares Patrick De Roeck un message plutôt philosophique intitulé Alea iacta est, COVID-induced early retirement (Les dés sont jetés, retraite anticipée à cause de la Covid).

l’Histoire de Patrick…

En 2019, j’ai fait connaissance avec Patrick ‘James’ De Roeck lors du salon aéronautique de Dubaï. Depuis 1991, il habite aux États arabes unis avec sa beauté marocaine Karima et leur fils Kenzi (15). Le Flamand jovial m’introduit auprès de plusieurs exposants à l’expo qui l’accueillent à chaque fois comme un cheik. Il peut difficilement en être autrement, car son CV mentionnant les fonctions de commandant de bord, instructeur, examinateur, manager d’entraînement, pilote d’essai et de démo auprès des Emirates commande le respect dans le monde de l’aviation.

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En 1991, ses collègues ouvrent de grands yeux quand Patrick échange le cocon sécurisant que lui offre la Sabena contre une compagnie aérienne encore obscure à cette époque dans une ville inconnue dans le désert. Cependant, dix ans plus tard, ils doivent lui donner raison.

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Ensemble, nous écumons les stands et visitons la tour pour nous rendre ensuite à la vaste collection d’appareils civils et militaires exposés sur le tarmac. Ayant totalisé plus de 14.000 heures de vol sur les Airbus Widebody (A300-600R, A310-300, A330-200, A340-300, A340-500, A380-800), le pilote ne cesse de raconter. Des anecdotes amusantes, des histoires captivantes … « Aucune problème, Caroline, demain nous prévoyons un jour supplémentaire au salon aéronautique. Je vais venir te chercher à ton hôtel. Ma plaque d’immatriculation est 349, » plaisante Patrick.

349 est plus que sa plaque d’immatriculation

Lors du trajet depuis l’hôtel vers l’Al Maktoum International Airport, Patrick, né en 1957 et grandi au Congo comme enfant d’expats, raconte comme il a été encouragé par son père à devenir pilote de ligne. À cause de la fermeture temporaire de l’école de la Sabena, il a dû faire un autre choix et est ainsi arrivé à l’université de Gand. Après deux années réussies en tant qu’étudiant ingénieur civil, il a appris les possibilités à la Défense. Il est passé à la Force aérienne où il a réussi les épreuves d’admission. Tout comme ses copains de la Prom 78A, ‘James’ a commencé sa carrière militaire pour devenir pilote de chasse breveté sur Mirage (1SQN) et finalement sur F-16 auprès du 349SQN. Une période et un chiffre dont il se souviendra et qui lui tiendront à cœur pendant le reste de sa vie. Après une carrière de 9 ans en tant que pilote dans le cadre auxiliaire, il arrive enfin à la Sabena. Il y apprend les ficelles du métier dans l’aviation civile, pas comme pilote mais comme instructeur.

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Question de tenter vos chances

« De l’intuition et une bonne chose de chance, » c’est ainsi que le Belge résume sa carrière en 2019. Le privilège d’être désigné par Emirates comme pilote de projet pour le programme des Airbus A380 pour le développement, la certification et la validation de route de vols avec quelques pilotes d’essai légendaires d’Airbus, est pour lui l’un des sommets de sa carrière.

Pilote de démonstration sur A380, il est une valeur solide, tout comme son collègue, le capitaine Shaban, lors de l’ouverture du Dubai Air Show, toujours en formation avec les Aermacchis de l’équipe Al Fursan de la Force aérienne des EAU.

Son carnet de vol comprend encore beaucoup plus de missions mémorables :  des vols en formation à l’occasion de la fête national des EAU, des flypasts au départ de courses de Formule 1, des survols à l’occasion de manifestations sportives importantes, un vol en formation avec les deux jetmen (dont un entre eux, Vince Reffet, a malheureusement trouvé la mort il n’y a pas longtemps) …

Sur le plan professionnel, financier, social … Patrick vit avec sa famille la vie dont beaucoup n’osent même pas rêver.

Des années de bonus au Moyen-Orient

Depuis 2007, les pilotes ne doivent plus prendre leur retraite à leur soixantième anniversaire. Le pilote ambitieux a ainsi pu prolonger sa carrière. Combiner son job de rêve avec sa vie familiale dans cette métropole animée, c’est ce qui rend ce jouisseur parfaitement heureux. « Nous vivons depuis longtemps déjà ici et ça nous plaît, » confirme Patrick. « Nous apprécions la sécurité. Il n’est guère question de criminalité, contrairement à la plupart des démocraties occidentales où il manque souvent l’ordre et l’application de la loi. Dubaï est très dynamique, libéral et ambitieux, pour ainsi dire, un mélange de New York et de Las Vegas au Moyen-Orient. Ma vie peut continuer ainsi pour longtemps. Chaque année que je continue à travailler comme pilote après mon soixantième anniversaire, je la considère comme une année de bonus. »

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Un coup dur en 2020

L’année a pourtant bien commencé pour Emirates : en janvier et février, ils ont réalisé un chiffre d’affaires record, pareil pour le bénéfice. Il était déjà question d’un virus, certes, mais personne ne savait déjà le coup dur que celui-ci apporterait. Tandis que, sans le savoir, l’aviation contribuait largement à la propagation mondiale du virus, personne ne pouvait prédire à ce moment-là l’ampleur de cette crise.

Jour pour jour, 35 ans après la constitution d’Emirates

Le 25 mars 2020, la régie des voies aériennes des EAU a lancé de nouvelles règles : l’entière flotte d’avions passagers d’Emirates resterait au sol. Il y a jour pour jour 35 ans qu’Emirates avait été fondé. Quelle ironie ! Patrick fait le calcul : « L’entière flotte d’avions passagers d’Emirates, cela signifie concrètement : quelque 260 avions gros-porteur au sol, 115 du type A380 et 145 Boeing 777. C’est colossal. »

« J’étais en train de bricoler dans mon garage quand j’ai reçu tout à coup des dizaines de messages sur mon smartphone, » Patrick s’en souvient vivement. « Mon moi rationnel m’a tout de suite fait comprendre que cela pourrait signifier pour moi, âgé de plus de soixante ans, la fin des années de bonus auprès d’Emirates. Cependant, mon hémisphère droit m’a donné encore un peu de courage pour refouler cette idée. Mon expérience, mes aptitudes de gestion et d’entraînement… cela s’arrangera. »

Commencée la première vague de licenciements, je me suis rendu compte que cela n’allait pas bien tourner. Comme mes collègues avaient reçu leur licenciement par e-mail, j’observais scrupuleusement ma boîte de réception. D’abord c’était aux easy targets, les nouveaux pilotes dans leur période d’essai. Il y en avait des centaines ! La deuxième vague de licenciements a fauché dans le champ des pilotes qui étaient un peu plus souvent absents ou prestaient parfois un peu moins. Dans la troisième vague, c’était mon tour : les pilotes de plus de 60 ans devaient aussi partir. Peut-être une sorte de soulagement, j’étais délivré de l’incertitude, des sentiments paranoïaques incessants !

Des quelque 2000 pilotes sur A380, environ 1500 ont été licenciés. 300 des 500 restants se sont vu accorder un congé non rémunéré. Un vrai massacre.

Une arme à double tranchant

Une avalanche de critiques s’est élevée de la communauté de pilotes. Comment la gestion a-t-elle pu prendre de telles mesures rigoureuses d’un jour à l’autre ? Cette décision était quand même totalement injustifiée ? Patrick réagit de façon plus nuancée : « Selon moi, ils ont pris la bonne décision. Même si la compagnie avait une réserve financière solide, cela ne suffirait jamais à garder une telle flotte avec un tel équipage. Si vous choisissez une compagnie telle qu’Emirates, il faut peser le pour et le contre d’avance. D’une part, on a l’occasion de piloter les avions les plus beaux et neufs au monde, faire un job bien payé et exempt d’impôts et recevoir des avantages légaux pour soi-même et pour sa famille. D’autre part, le revers de la médaille, la compagnie est gérée comme une entreprise privée purement commerciale. Pas de syndicats ni de sécurité sociale si ça tourne mal. »

Touché, mais pas aigri. No big deal!

« Un dernier vol vers ma destination préférée avec mon A380 favori, transportant ma famille et mes copains, c’est ainsi que ma carrière aurait fini normalement. C’est dommage, mais c’est ainsi ! » dit Patrick. « Ce serait plus satisfaisant, mais je le regarde à travers des lunettes philosophiques, plutôt qu’avec un sentiment d’amertume. Je n’ai aucune raison de me plaindre : neuf ans à la Force aérienne, cinq ans à la Sabena et une carrière fulgurante aux Emirats. Depuis quarante-deux ans, j’ai fait mon job de tout mon cœur et j’ai pris toutes les chances qui m’ont été données. Grâce à mon job, j’ai acquis une position tant professionnelle que sociale que je n’aurais jamais eu la chance d’acquérir en Europe. Je ne me considère pas comme victime de la crise corona, parce que beaucoup de gens plus jeunes se sont vus perdre leur job, pour ne pas parler de l’impact globale néfaste sur les moyens d’existence, la santé et même la vie !

« Pour moi-même et pour ma famille, j’ai décidé de get on with life. Grâce aux réserves que j’ai pu constituer à travers ma carrière, je peux continuer à vivre une vie confortable avec ma famille à Dubaï. Maintenant, je travaille aussi comme consultant aéronautique indépendant. Comme la législation relative à la migration est sévère aux Émirats, il faut vraiment disposer d’un statut solide. Ou bien, on va à la retraite avec une sorte de silver visum, mais avec un tel visa on ne peut plus travailler. Ou bien, on crée une propre entreprise. Comme je suis convaincu que, grâce à mon expertise, j’ai encore beaucoup à offrir aux jeunes pilotes et compagnies, j’ai choisi cette dernière option. Entre-temps, j’ai obtenu mon Type Rating sur A320, parce que, contrairement à l’A380, c’est l’appareil Airbus le plus populaire et j’augmente ainsi mes chances de devenir instructeur. Je combine mon nouveau job avec ma vie de famille, pour laquelle je peux libérer beaucoup plus de temps maintenant. Lors de ma carrière de pilote, j’ai souvent raté des moments en famille à cause de mes schémas de travail irréguliers. Et grâce à mon nouveau hobby en tant que manager de l’équipe de karting Eagle Racing où mon fils est actif, je vis des moments fantastiques avec lui et je peux ainsi rattraper largement le family time raté. Et nous avons l’intention de rester à Dubaï tant que Kenzi étudie, encore au moins trois ans ! »

Reste positif, car l’avenir vaincra le corona

Même si cela ne va peut-être pas si mal pour Patrick, cela ne l’empêche pas d’être solidaire avec ses jeunes collègues. « Je suis solidaire avec ceux qui sont arrivés dans une situation pénible à cause de la Covid-19 : des jeunes pilotes au début ou au milieu de leur carrière, souvent avec de jeunes familles, parfois dans une situation financière précaire. Ce sont des temps difficiles pour eux. J’aide où je peux. » Un jour, le secteur de l’aviation se rétablira, mais cela peut durer encore quelque temps. La loi de l’offre et de la demande, elle joue aussi dans ce secteur. Beaucoup de pilotes disponibles, peu de jobs. Les collègues qui sont en train de travailler encore, s’en aperçoivent déjà. Ils ont déjà dû accepter une réduction de salaire et d’avantages. Et la joie de voler a un peu disparu. Les pilotes qui volent maintenant, surtout vers des destinations lointaines, doivent rester à leur arrivée entre les murs de l’hôtel ou même dans leur chambre, et respecter les restrictions corona, circonstances qui ne sont pas vraiment à concilier avec une vie de pilote aventureuse. 

« Cependant, le secteur de l’aviation se rétablira sans aucun doute, » conclut Patrick, « parce que the only way is up ! »  Les pilotes qui se trouvent actuellement au sol, au sens littéral et figuré, s’élèveront bientôt dans l’air.

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Auteur: Caroline Ostyn
Photos: Emirates & Patrick De Roeck

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Auteur: Caroline Ostyn